Elodie est d’une famille d’agriculteurs du Pays Léon, de la fameuse « ceinture dorée » entre la baie de Morlaix et la côte des Légendes, qui a fait la réputation de la Bretagne maraîchère. « Nous sommes une famille d’agriculteurs maraîchers, nous avions 40 ha en location, et 5 ha de terre en propre. Ma famille avait basé sa vie sur la culture des choux-fleurs et de l’artichaut », se souvient-elle avec émotion. 

Qui dit location, dit loyer à payer à un propriétaire foncier, quels que soient le temps et le rendement, même quand les années sont dures. Et le remembrement des terres ne facilite pas les choses. « Cultiver en maraîcher, c’est se lever à 2h du matin pour vérifier que les cultures n’ont pas gelé les nuits d’hiver, n’ont pas été inondées ou n’ont pas souffert des tempêtes, vérifier aussi que le troupeau de quelques têtes de bétail que nous possédions du temps de mon grand-père n’a pas souffert du froid, de la pluie », raconte Elodie Le Saout. C’est être dur à la peine, et capable de prendre son destin à bras de corps.

Comme l’a fait cette génération de l’immédiat après-guerre en Bretagne qui a créé des SICA (Société d’intérêt collectif agricole) pour mutualiser ses moyens, et être maître de son destin agricole et de ses choix.

Un parcours construit à la force du poignet…

Dans le Pays Léonard, la mise en commun et la vente au cadran des productions qui se vendaient auparavant de gré à gré pour exporter des légumes dans les cales des bateaux et surtout contrôler leur prix de vente, a donné lieu à la création d’une SICA à Saint-Pol-de-Léon, qui participera au financement et à la création de la Brittany Ferries – au moment même où le Royaume-Uni adhérait à la Communauté économique européenne –, dont le siège est à Roscoff, dans le Finistère Nord.

Le grand-père et le père d’Elodie, après avoir essayé de diversifier l’exploitation familiale pour ne pas trop dépendre des aléas de la météo et des marchés légumiers, feront partie de cette aventure, ce dernier devenant même président de l’un des dépôts de légumes de la coopérative agricole dans la commune voisine de Taulé.

L’histoire (et donc le parcours) d’Elodie se confond avec celle de la Bretagne agricole qui se bat et se fédère en coopératives agricoles pour exister, et subvenir aux besoins alimentaires de toute une région… et d’un pays. C’est la fierté d’une famille capable de se retrousser les manches, élément central dans le parcours d’Elodie le Saout, construit à la force du poignet, avec une dignité, une volonté et un courage qui lui appartiennent. 

… comme l’a fait Elodie Le Saout

Elodie a 28 ans, et toute une vie, une force, dans son regard qui tient le vôtre et ne le lâche plus. Car Elodie, qui ne le cache pas, mais n’en fait pas non plus un étendard, est en fauteuil électrique depuis ses plus jeunes années, à la suite d’une maladie évolutive de la moelle épinière.

Depuis qu’elle est enfant, elle se bat pour exister, vivre normalement. Élève accrocheuse, elle réussit de brillantes études, et devient une experte recherchée dans son domaine : la cybersécurité. Ce combat quotidien contre le manque d’infrastructures adaptées, les préjugés, le regard, le jugement souvent cruel des autres, la brutalité imbécile de certaines décisions administratives, humaines, professionnelles, Elodie le mène, le vit depuis qu’elle est gamine.

Ça forge forcément un caractère… et un parcours. « Mes origines finistériennes et la trajectoire de ma famille y sont certainement pour quelque chose », avoue-t-elle en riant. Et, dans ce salon baigné de soleil d’une maison près de Saint-Pol-de-Léon, les mots « courage », « ténacité » et « volonté » prennent le visage d’Elodie Le Saout. On comprend alors que cette jeune femme au regard intense, qui se plante dans le vôtre, ne renonce pas facilement, et surtout pas à une vie normale. Sa vie. 

« J’ai été habituée très tôt à travailler avec un ordinateur », explique-t-elle posément. « Je faisais des coloriages sur Internet, j’écrivais… j’aime écrire », confie telle avec un grand sourire. « J’ai donc commencé, en parallèle de ma scolarité et de mes études, à apprendre le code informatique et à travailler avec des logiciels de mise en page, de dessin ».  

« Protéger, défendre »

Elle veut aussi protéger et aider les autres. Les siens. Son environnement. Sa vie. « J’aurais voulu pouvoir travailler dans le domaine du soin, de la santé, mais ça m’était difficile », explique-t-elle simplement. « Alors, j’ai été vers le secteur qui pour moi représentait la protection de ce qui existait : la défense… et quelques années plus tard, la cybersécurité ».

C’est ainsi que la jeune femme, sans jamais reculer, fait un « Bachelor of Arts », programme Europe Afrique à Sciences Po de 2014 à 2017, puis suit un Master de Politiques Publiques, Sécurité et Défense à Sciences Po de 2017 à 2019. Passionnée par les relations internationales et la géopolitique, elle y ajoute un cycle de Master 2 en défense et sécurité Nationale du prestigieux IHEDN (Institut des Hautes Études de Défense Nationale) en 2019, et, en 2022, une certification en défis et enjeux de la cybersécurité par l’Université de Bretagne Sud. Elle se spécialise vite, par de multiples lectures, en gouvernance, gestion des risques et conformité (GRC). Protéger, toujours… 

Elle travaille quelque temps comme consultante GRC à Paris dans une ESN qui avait fait de l’inclusion – un terme qu’Elodie le Saout déteste – un de ses chevaux de bataille, et qui trouve que ses demandes en matière d’aménagement de poste ne sont pas justifiables, alors que son travail donne satisfaction.

La jeune femme, blessée, fait front, se sépare de cette ESN qu’on oubliera, et rejoint ses terres natales pour y créer deux entités aux noms celtes : « Sequana, déesse de l’eau [Sequana étant le nom celte de la Seine, N.D.L.A.], qui regroupe ses différentes activités de conseil des entreprises en gestion des risques, stratégie et intelligence économique notamment, et surtout Moïra Cybersecurity, son cabinet de conseil spécialisé en GRC (Moïra étant un dérivé de l’Irlandais Maìre, pour Marie).

« Moïra » vient de la mythologie grecque : on nomme ainsi les Parques qui filent le Destin des hommes. « Pour moi, ce nom illustre le fait que chacun peut choisir son destin, aller vers l’ombre… ou la lumière. C’est aussi le clair-obscur dont est fait la cyber », explique joliment Elodie Le Saout.

Les murs finissent un jour par tomber

Elodie Le Saout trouve ainsi, bien plus qu’un exutoire, un terrain d’expression favorable à son courage, sa force, et sa créativité. Car, en plus d’être sacrément tenace, elle est très créative : son profil LinkedIn se remarque aussi par ses posts percutants de conseil sur la cyber.

Clin d’œil du destin, Elodie Le Saout a créé un podcast « Cyberwomen », dédié aux femmes dans la cyber, et qui leur donne la parole « pour montrer qu’il n’y a ni déterminisme ni fatalité pour une femme à ne pas exercer des métiers encore masculins ». Sans discours féministe ni apitoiement sur elle-même, elle donne, avec ce podcast, une parole et un point de vue unique sur la cyber vue par les femmes.

Elodie Le Saout montre que les préjugés, ça se combat, les difficultés, ça s’affronte, et que les murs finissent un jour par tomber. Mais pour ça, il faut de la force et du courage. Qui ne cessent de se lire sans son regard..



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