Récemment, j’ai assisté à l’événement « Canva Create » à Los Angeles. Contrairement aux conférences IT où l’on croise surtout des pros de l’infrastructure, des données ou des applications métiers, l’audience était composée de designers, de marketeurs et créatifs. Ce qui m’a frappé, au-delà de l’ambiance résolument enthousiaste – à tel point que 4 000 personnes se sont mises à danser – c’est l’énergie qui entourait les annonces de l’éditeur.

Si vous n’avez jamais utilisé Canva, c’est sans doute que vous n’êtes ni designer ni étudiant. Mes enfants connaissent l’outil, mais jusqu’à récemment, en tant qu’analyste spécialisé dans l’informatique métier, je n’y avais pas prêté plus d’attention.

Pourquoi parler de Canva sur un site d’IT B2B, me direz-vous ? Et bien parce qu’avec l’IA, les nouveaux usages de Canva commencent à croiser mon domaine. J’ai donc voulu en savoir plus.

Canva, un phénomène sous-estimé par l’IT

À l’origine, Canva est une plateforme de création de contenus. Son objectif est de simplifier la conception de visuels, de présentations, de vidéos, de posts de réseaux sociaux, etc. Ce qui frappe, c’est la façon dont l’outil regroupe tout le processus créatif dans une seule suite cohérente. Dans le monde IT, on parle souvent d’outils fragmentés et de workflows inefficaces. Canva apporte une réponse concrète à ce problème dans le design.

La plateforme unifie la création, la collaboration, la validation et la publication. Elle intègre aussi de l’automatisation, de l’Intelligence artificielle et des fonctionnalités orientées « data » – des aspects particulièrement intéressants.

Canva est une société privée basée en Australie. Elle pèse déjà plus de 32 milliards de dollars et revendique 230 millions d’utilisateurs actifs chaque mois. Ces derniers génèrent plus d’un milliard de contenus mensuels. Sa croissance est quasi naturelle : on commence par la version gratuite, puis on passe à la version Pro, avant d’adopter Canva Teams lorsque plusieurs collègues s’y mettent.

Depuis 2024, une offre « Canva Enterprise » propose également des fonctionnalités plus avancées de sécurité et de gestion coordonnée de l’image de marque. Les administrateurs peuvent aussi « transformer » des comptes personnels contenant des données professionnelles en comptes d’entreprise.

Mais dans les faits, Canva s’impose souvent sans passer par la DSI. Entièrement en ligne (SaaS), l’outil n’exige ni ticket de support ni processus d’achat formalisé. En un rien de temps, un service entier peut l’utiliser avec des contenus sensibles – sans que la DSI ou le RSSI soient au courant.

Nous sommes face à un pur cas d’école de shadow IT. Ici, il touche à des contenus visuels, collaboratifs et souvent liés à l’identité de marque. Avec l’intégration de l’IA et de la data, Canva Visual Suite va vite devenir un sujet stratégique auquel la cybersécurité et la DSI vont avoir à s’occuper.

Soyons clairs : Canva n’est pas un mauvais outil. Il est populaire. Et efficace. Mais en tant qu’application non répertoriée, il représente aussi un vecteur potentiel de fuite de données. Il mérite donc une attention spécifique dans les stratégies IT.

Un référentiel pour l’identité de marque

La DSI veut être le référentiel pour les appareils, les systèmes et les droits d’accès. De la même manière, Canva veut à devenir le référentiel de tout ce qui touche à la marque. Il centralise logos, couleurs, polices, messages clefs – et il veille à leur bonne utilisation. Une IA détecte même les erreurs : mauvaise couleur ? Mauvais logo ? Alerte ! (J’ai en tête quelques commerciaux qui devraient peut-être s’y mettre sans tarder…)

Avec ce système, l’uniformité de la marque devient une réalité, même pour les non-designers.

Une IA omniprésente

L’IA est partout dans la Canva. L’assistant maison, « Canva AI », prend en charge presque toutes les tâches liées à la création de contenus. Le tout est regroupé dans un espace, baptisé Magic Studio, qui propose :

  • Magic Design : création à partir de prompts ;
  • Dream Lab : génération d’images conforme à une charte ;
  • Highlights : extraction automatique de séquences vidéo ;
  • Magic Resize / Expand : change la taille et les formats d’un contenu et même sa langue ;
  • Magic Media : text-to-video, text-to-image, et text-to-graphic ;
  • Magic Write : génération de texte ou de documents complets.

Si vos collaborateurs utilisent Canva, ils utilisent déjà de l’IA – parfois sans le savoir.

Canva s’attaque à présent à la data

Cette année, Canva a mis l’accent sur la visualisation (datavizv) et sur l’intégration des données. Objectif : aider les utilisateurs à mieux raconter une histoire à partir de leurs chiffres.

Canva Sheets – c’est le nom du nouvel outil – est une nouvelle couche de données, transverse à toute la suite. Avec l’IA, elle permet d’organiser, d’analyser et de visualiser les données. Par exemple, la fonctionnalité Magic Formulas transforme des prompts (en langage naturel) en formules à la Excel qui demandait un très bon niveau d’expertise en tableur.

L’annonce a été tout bonnement acclamée par les utilisateurs. Mais pour les équipes IT et de cybersécurité, elle soulève plusieurs questions :

  • Où sont stockées ces données ?
  • Sont-elles synchronisées avec d’autres sources ?
  • Sont-elles protégées par les mêmes politiques de gouvernance ?
  • Quels modèles d’IA les traitent (et selon quelles règles) ?

Objectivement, c’est innovant. Mais cela appelle plus de contrôle et de visibilité.

L’outil de créativité devient un outil de productivité

Je ne peux m’empêcher de me poser des questions : Canva Sheets et cette nouvelle couche de données sont-ils le genre de chose qui fera passer Canva d’une plateforme pour les créatifs à une plateforme de productivité pour le travail de tout un chacun ?

Peut-être. Car lors de l’événement, Canva a présenté bien d’autres choses. Comme Canva Code : une IA qui permet de générer des designs interactifs avec de simples consignes textuelles. Exemple : un calculateur de ROI, un mini-jeu, ou un graphique dynamique basé sur les budgets marketing du trimestre.

Côté IT, difficile de ne pas voir des parallèles avec des outils puissants comme PowerShell – mais rendus accessibles à tous. Ce qui pose inévitablement la question : que se passe-t-il si ces usages se développent dans des équipes qui manipulent des données sensibles ?

Si Canva Code exploite les données de Canva Sheets, alors il faut rapidement envisager de migrer les utilisateurs vers une version d’entreprise encadrée.

Conclusion : gérez Canva !

Si vous n’avez jamais utilisé Canva, jetez-y un coup d’œil. C’est un excellent exemple d’un jeune éditeur avec une approche moderne du travail créatif, des workflows et de la productivité, qui secoue un marché et qui réussit à se créer une base d’utilisateurs fidèles.

C’est également un excellent exemple de la façon dont l’IA générative s’infiltre dans nos vies – pas nécessairement comme une « killing app » que tout le monde utilise (comme ChatGPT), mais comme une succession de petites touches qui, combinées, améliorent l’expérience globale, augmentent la productivité et, au moins d’après les réactions que j’ai observées lors de l’événement, ravissent réellement les utilisateurs.

Cela dit, l’utilisation non autorisée d’une application comporte des risques, et il est donc préférable d’anticiper.

En s’invitant dans la data, l’IA, et maintenant le low-code, Canva sort clairement du champ de la simple suite créative, et de réels besoins se font jour en matière de conformité, de protection des données, de sécurité, d’identité, etc.

Si Canva est utilisé dans votre organisation (et a priori il l’est), il est clairement temps d’en tenir compte dans votre stratégie IT.

Gabe Knuth est analyste principal spécialiste de l’IT de l’utilisateur final chez ESG (Enterprise Strategy Group) –, cabinet de conseils qui fait désormais partie d’Omdia (groupe Informa TechTarget, également propriétaire du MagIT). Ses analystes entretiennent des relations commerciales avec les éditeurs.



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